La décision de maintenir le parrainage a été prise malgré la décision de la cour de justice de la CEDEAO qui avait ordonné sa suppression dans un arrêt du 28 Avril 2021.
En dehors du fait qu’il constitue, d’après la cour « un véritable obstacle à la liberté et au secret de l’exercice du droit de vote d’une part et une sérieuse atteinte au droit de participer aux élections en tant que candidat d’autre part », le parrainage sous sa forme actuelle viole, entre autres, le protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté en 2001 par la Cedeao, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 adopté dans le cadre des Nations unies et la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 … qui ont tous été ratifiés par l’Etat du Sénégal.
Le rapport de la mission d’observation de l’Union Européenne sur l’élection présidentielle du 24 Février 2019 avait également préconisé de mener une réflexion sur le système des parrainages citoyens, dont certains aspects « portent atteinte au principe d’égalité entre les candidats ».
La loi n°2018-22 du 04 février 2018 instituant le parrainage comporte aujourd’hui des failles qui en font un véritable danger pour la démocratie sénégalaise et pour sa quiétude.
Les réformes introduites à travers le récent dialogue national et modifiant les articles L57, L120, L121, L122 et L126 du code électoral n’ont pas freiné les dangers que nous classons en trois catégories.
Danger N-1: Rupture d’égalité et traffic de données personnelles
La modification de l’article L 57 qui a introduit le tirage au sort a le mérite d’éviter les empoignades devant le conseil conditionnel mais elle ouvre les voies du parrainage à n’importe quel prétendant. Un tirage au sort qui implique toute personne qui a fait un dépôt de candidature fait courir le risque de doublons avec la prise en compte des parrains même lorsque toutes les pièces afférentes à une participation aux élections n’ont pas été versé au dossier.
Le contrôle axé uniquement sur le volet informatique fait que les données personnelles ne s’identifient pas physiquement à leurs propriétaires.
Les données personnelles étant disponibles partout (banques, mutuelles, mbootay, hôtels…), tout candidat peut collecter des données personnelles et les présenter sous forme de parrainages à l’insu des électeurs concernés et en passant les mailles du filet électronique du conseil constitutionnel.
Danger N-2: Défaut de transparence pouvant entacher la légitimité des élections
La Commission de Contrôle des Parrainages instituée par l’article L123 se base sur un logiciel de vérification qu’elle ne maîtrise pas. Aucun membre de cette commission n’a été choisi pour son expertise en informatique. De même aucun audit préalable d’une structure indépendante n’a été fait sur le logiciel qui est celui des services de l’État. Ceux-là même qui refusent d’appliquer des décisions de justice en parfaite connivence avec le pouvoir central incarné par des politiques.
Un logiciel informatique peut contenir plusieurs paramètres techniques pouvant privilégier des candidats au détriment d’autres et à l’insu de la commission de contrôle des parrainages qui est composée de profanes en la matière.
Danger N-3: Frein antidémocratique à la libre participation aux élections
Un candidat n’est pas forcément un expert en informatique. Si on en arrive à faire la différence par la qualité du travail de son informaticien, cela pose problème dans un processus démocratique où c’est la loi de la majorité qui s’applique et non celle de l’expertise.
Les doublons internes, certains rejets pour le défaut de présence dans le fichier électoral, le dépassement des 10 000 parrains par région…sont dus le plus souvent à des erreurs techniques ou de saisie qui ne devraient pas empêcher à un citoyen d’être candidat à une élection et de recueillir les suffrages de ses compatriotes. Même si d’autres raisons non encore élucidées peuvent justifier le nombre important de personnes déclarées inexistantes au fichier électoral.
Le plus important c’est l’expression des populations à travers les urnes et non la qualité d’un travail bureautique. Que l’on permette aux candidats de demander le suffrage de leurs concitoyens sans entraves ridicules et attentatoires à leur liberté de candidater.
Les dangers du parrainage citoyen ont fait que le candidat du pouvoir a préféré utiliser le parrainage des élus.
Si le candidat du président sortant est en danger pour un simple parrainage citoyen, tout autre candidat a des raisons de craindre une élimination injuste.
Il faudra très rapidement remédier à cette situation préjudiciable à la démocratie et à l’Etat de droit.
Pour tous ces motifs nous proposons un parrainage physico-électronique intégralement géré par le conseil constitutionnel. Il faudra créer un filtre qui ne viole pas les conventions signées par le Sénégal et qui pourra assurer l’égalité de chances des candidats devant la loi.
Le conseil constitutionnel doit faire un appel d’offre pour la mise en place d’un logiciel pouvant permettre de recueillir les parrainages en ligne. Ceux-ci concerneront, en sus des élus mentionnés à l’article L120 du code électoral, les élus locaux notamment les conseillers municipaux et les conseillers départementaux. Et des lieux de validation physique doivent être ouverts dans les centres de vote ou les préfectures afin de corroborer les données personnelles avec la présence des concernés.
Ainsi les doublons seront écartés et le cas échéant des sanctions ciblées pourront être prises. De même le principe d’égalité de chance entre les candidats sera appliqué sans préjudices sur la nécessité d’éviter une pléthore de candidatures sans intérêt pour la démocratie.
Thierno Bocoum
Président AGIR