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Dakar, le 15 janvier 2024

Destinataire : Mme la Cheffe de la Délégation de l’Union Européenne

Objet : Memo sur la situation politique des parrainages pour l’élection présidentielle de 2024

Un contexte pré-électoral tendu

Depuis plus de 2 ans, le Sénégal vit une situation de quasi état d’urgence non déclaré caractérisée par un déni systématique des libertés individuelles et collectives. En effet, les libertés de réunion et de manifester pourtant consacrées par la constitution sont systématiquement déniées aux acteurs politiques. Les préfets s’opposent à toute tentative de meetings organisés par les partis politiques au mépris de la loi. Pis, la gendarmerie est mobilisée pour barricader les sièges des partis politiques pour empêcher les réunions des leaders et même les conférences de presse conviées dans des lieux privés sont systématiquement interdits et les acteurs gazés pour les disperser. 

Le dialogue national initié par le Pouvoir et boycotté par une large frange de l’opposition n’a pas réussi à ramener la sérénité et la confiance entre les acteurs politiques.

Situation de la collecte des parrainages

C’est dans ce climat d’état policier que la collecte des parrainages a démarré le 27 septembre dernier. Là également, il importe de souligner les multiples entraves opérées par le pouvoir pour empêcher le déroulement normal des opérations avec les complicités des préfets. Les convois des leaders de l’opposition qui vont à la rencontre des populations sont systématiquement gazés, pendant que le camp au pouvoir se déploie sans entrave sur l’ensemble du territoire national. 

Le premier ministre, sous le prétexte fallacieux de visites économiques, se déploie librement sur le terrain, utilisant les moyens et ressources de l’Etat pour collecter des parrainages. Les médias publics sont mis à contribution pour amplifier ces activités avec une instruction ferme d’observer l’omerta sur les activités de l’opposition. Il en est de même pour les maires appartenant au camp du pouvoir qui organisent des caravanes et meetings librement tandis que ces activités sont systématiquement interdites à l’opposition.

Contrôle des parrainages : les outils de la fraude électorale

A la suite du dépôt des candidatures à la présidentielle, le Conseil constitutionnel a organisé une séance de tirage au sort pour déterminer l’ordre de contrôle des parrainages pour les 93 dossiers de candidature reçus à son greffe. L’enjeu de cette opération est que tout parrainage comptabilisé pour un candidat est compté comme doublon, donc distrait de la liste des parrainages des candidats suivants qui sont ainsi pénalisés.

Il faut souligner ici avec force l’opacité qui entoure ces opérations, notamment en ce qui concerne les 2 éléments essentiels du système de contrôle.

  1. Le fichier électoral : Depuis de nombreux mois, l’opposition n’a eu de cesse de réclamer la mise à sa disposition du fichier électoral comme le prévoit d’ailleurs l’article L49 du code électoral qui dispose que « La C.E.N.A ainsi que les partis politiques légalement constitués ont un droit de regard et de contrôle sur la tenue du fichier ». les modalités pratiques devant être déterminées par un décret, le Président de la république refuse systématique l’adoption de ce décret pour priver injustement les partis d’opposition de ce droit consacré par la loi électorale

Dans ces conditions comment un candidat qui a collecté des parrainages sur le terrain peut-il s’assurer que le parrain figure effectivement dans le fichier électoral ? Au demeurant, le collecteur des parrainages de la coalition au pouvoir a avoué publiquement, lors d’une interview dans la presse, détenir une copie du fichier électoral. Cette rupture dans l’égalité des chances entre le candidat du pouvoir et ceux de l’opposition est inacceptable dans une démocratie.

De plus, le fichier électoral issu des dernières révisions étant le référentiel pour juger de la validité des parrainages, sa mise à disposition de tous les concurrents relève de l’évidence dans un souci de transparence et d’équité. 

Cette situation d’opacité sur la tenue du fichier électoral n’a pas épargné même la CENA, pourtant investie du rôle de supervision de l’ensemble du processus électorale aux termes de l’article L6 du code électoral qui dispose que « La C.E.N.A est obligatoirement présente à tous les niveaux de conception, d’organisation, de prise de décision et d’exécution depuis l’inscription sur les listes électorales jusqu’à la proclamation provisoire des résultats. » l’aveu circonstancié de la CENA dans son communiqué du 06 janvier est édifiant à ce propos.

  1. Le logiciel de contrôle des parrainages : Déjà en 2019, des protestations véhémentes avaient été émises à l’encontre du logiciel de contrôle des parrainages au vu de failles substantielles décelées dans son fonctionnement. 

C’est pourquoi, l’opposition a réclamé depuis 2019 que ce logiciel soit mis à la disposition de tous les acteurs en vue d’auditer son fonctionnement pour garantir la transparence des opérations de contrôle des parrainages. Cette demande réitérée de nombreuses fois devant le Ministre de l’Intérieur, la Direction générale des Elections et devant le Conseil constitutionnel s’est invariablement heurtée à un refus catégorique. Les multiples interpellations des leaders de l’opposition dans la presse et à travers les meetings n’ont pas fait fléchir le pouvoir dans sa volonté de maintenir l’opacité la plus totale sur ce fameux logiciel qui en définitive, s’est révélé le second instrument de sélection des candidatures après le fichier électoral.

Contrôle des parrainages : les preuves irréfutables de la sélection à la carte

La commission de contrôle des parrainages a remis aux candidats le rapport des contrôles dont les détails sont contenus dans une clé USB. L’exploitation minutieusement des informations a livré les secrets du modus operandi de la fraude électorale opérée par le pouvoir pour éliminer certains candidats. Certains éléments du modus operandi sont présentés ci-dessous.

  1. Prétexte de clés USB ou de formats non lisibles

Neuf (9) candidats ont été éliminés sans que leurs parrainages ne soient contrôlés au motif que la commission n’a pas accéder à leur données. Or ces données ont été lues lors du dépôt et un rapport de synthèse des parrainages y contenus remis à leur mandataire comme l’illustre la figure ci-contre  dans le cas du candidat Mouhamadou Lamine Gueye. De plus, les données ont été copiées conformément à la procédure édictée par le Conseil constitutionnel. Il est donc simplement ridicule d’évoquer le prétexte de format de fichier modifié pour priver ces candidats de leur droit de contrôle de leurs parrainages. Le format aurait-il été modifié que n’importe quel informaticien, même doté de capacités limitées pourrait le convertir sous une forme exploitable.

Nous exigeons que ces candidats soient rétablis dans leurs droits sur la base de la copie des parrainages dont dispose le Conseil constitutionnel. De plus, l’ensemble des parrainages ont été déposés sous format de fiches en physique qui donnent toute latitude au Conseil constitutionnel pour opérer les contrôles nécessaires.

  1. Manipulations du fichier électoral

L’une des clefs essentielles d’exclusion de candidats ciblés par le pouvoir a été la manipulation du fichier électoral. En effet, de nombreux électeurs, régulièrement inscrits sur le fichier électoral, qui n’ont jamais fait l’objet d’une procédure de radiation, qui n’ont jamais changé de commune de vote, et qui ont voté même aux dernières élections locales ont déclarés « parrains non identifiés sur le fichier électoral » disparaissant ainsi, fort curieusement, du fichier électoral utilisé par le Conseil constitutionnel pour la validation des parrainages.

Des cas emblématiques sont constitués par les candidats Mouhamed ben Diop et Mary Teuw Niane, eux-mêmes candidats pour la présente élection et dont une copie légalisée de leur carte d’électeur est entre les mains du Conseil constitutionnel. De nombreux parrains déclarés non identifiés sur le fichier électoral sont présentement conseilleurs municipaux ou conseillers départementaux dans leurs localités, électeurs et élus lors des dernières élections locales.

Certains candidats ont pris le soin de collecter les copies des cartes d’identité de leurs parrains pour s’assurer de leur existence sur le fichier électoral. L’exploitation de la liste des « parrains non identifiés sur le fichier électoral » fournie par le Conseil constitutionnel à l’appui du rejet de leur parrainage permet de contredire le Conseil. La démonstration par l’exemple étant pédagogique, nous reproduisons ci-dessous une parte de la liste de 1.220 parrains du candidat Dr Cheikh Dieng qui ont été déclarés « non identifiés sur le fichier électoral » mais se retrouvent à la fois sur le fichier électoral mis en ligne par la CENA et sur le fichier électoral de 2019 mis à la disposition des partis politiques par la DGE lors de la dernière présidentielle.

« Non-inscrits » retrouvés sur le fichier électoral

BABACAR CISSE

OUSMANE DIENG

MAMADOU DIENG

KHARDIATA KA

BINETA GUEYE 

FARY SECK 

BIGUE DIOP

ALASSANE NDIAYE 

BINETA NIANG 

RAMATA SOW 

DIAMANDY DIALLO 

Il se pose dès lors la question cruciale de savoir quel est le fichier électoral de référence pour le Conseil constitutionnel lors du contrôle des parrainages de certains candidats qui ont été injustement éliminés ? A l’évidence, le processus électoral est mené sur la base de plusieurs fichiers électoraux, situation qui remet en cause la validité des opérations de contrôle des parrainages et entache d’ores et déjà la crédibilité et la transparence du processus l’ensemble du processus et jette un discrédit raisonnable sur les résultats qui en seront issus. 

En confrontant les données de rejet des candidats membres de la plateforme, nous arrivons à un cumul d’environ 900.000 électeurs qui ont été frauduleusement distraits du fichier électoral. Cette situation présage d’un chaos électoral de tous les dangers le 25 février prochain, car tous ces électeurs qui se rendront dans leur bureau seront éconduits et privés de leur droit citoyen constitutionnel de choisir leur Président de la République.

Pour l’ensemble de ces parrains, nous exigeons que les candidats victimes de cette manipulation/ substitution de fichier électoral soient rétablis dans leur droit à travers une confrontation de leurs parrainages avec le fichier électoral complet validé par la CENA.

  1. Omission de parrains lors du contrôle

Pour certains candidats, des lots entiers de parrains comptabilisés lors du dépôt des parrainages ont été volontairement ignorés lors du contrôle. Il en est ainsi de la candidate Aminata Touré pour un lot de 10.000 parrains de la région de Saint Louis, du candidat Dr Cheikh Dieng pour un lot de 400 parrainages de la diaspora, etc.

  1. Erreurs supposées sur le nom ou le prénom du parrain

L’arrêté organisant le parrainage a défini comme la date de fin de validité de la carte d’identité comme discriminant permettant de s’assurer de la validité du parrainage. Dès lors, le Numéro d’identification nationale (NIN) ou le numéro de la carte d’identité qui sont tous les deux des clefs primaires d’identification sont des éléments largement suffisants pour l’identification du parrain. Toutefois, le Conseil constitutionnel a jugé opportun d’introduire l’orthographe du prénom et du nom du parrain comme outils supplémentaires d’élimination de candidats ; ce qui constitue une forfaiture aux termes de la loi et de l’arrêté n°032005 du 25 septembre 2023 qui organise le parrainage. En effet, ledit arrêté identifie ces éléments comme devant concourir à l’identification du parrain et précise en son article 4 que « La non-conformité de ce renseignement recueilli sur la fiche avec la base de données de la carte d’identité biométrique CEDEAO entraine l’invalidation définitive de l’acte de parrainage. »

Ici, deux types de subterfuges ont été mis à contribution pour participer à l’élimination frauduleuse de certains candidats.

  1. Le nom est correctement orthographié, mais le parrain est rejeté

Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, des candidats ont eu des parrainages rejetés au motif que le prénom ou le nom du parrain n’a pas été correctement orthographié alors que le rendu de la commission de contrôle pour l’orthographe correcte du nom est exactement identique. La figure ci-dessous en donne un exemple édifiant.

La simple observation des noms de parrains « Nom » et ceux dans le fichier « Nom fichier » permet de se rendre compte de l’injustice flagrante dans l’élimination des parrains. Des centaines de milliers de parrainages ont ainsi été rejetés lors du contrôle à travers certainement une programmation informatique ciblant des candidats en particulier.

Nous exigeons que l’ensemble de ces parrainages invalidés à tort soient restitués aux candidats injustement spoliés.

  1. Noms modifiés par le logiciel de contrôle

Dans d’autres cas plus pernicieux, le logiciel de contrôle ajoute un caractère au nom du parrain avant de le comparer à l’électeur correspondant dans la base de données du fichier électoral pour rejeter le parrain évidemment.

La figure suivante illustre ce cas de supercherie électorale ou la lettre  a été systématiquement rajoutée au nom du parrain pour aboutir a l’invalidation pour « nom non conforme.

  1. « Incomplétitude » organisée de dossier

Le cas particulier du dossier du candidat Ousmane Sonko mérite d’être souligné dans ce chapitre. En effet, l’administration, en particulier la Direction Générale des Elections (DGE) et la Caisse des Dépôts et de Consignations (CDC) ont organisé une obstruction systématique à son encontre pour l’obtention de pièces entrant dans la composition du dossier de candidature à la présidentielle, sous le prétexte fallacieux de son éviction des listes électorales, et cela malgré les décisions de justice pertinentes. Dans sa décision portant liste provisoire des candidats retenus pour la présidentielle, le CC s’est contenté de constater l’absence de l’attestation de caution de la CDC.

Cette jurisprudence offre désormais à tout segment de l’administration en charge de la délivrance d’un élément quelconque du dossier de candidature à toute élection la possibilité d’évincer un candidat concurrent en le lui refusant. En particulier, tout Maire peut désormais évincer de la compétition son concurrent potentiel ou l’empêcher de candidater à la présidence de la république en refusant de lui délivrer un extrait d’acte de naissance dans les 6 mois qui précèdent l’élection ; c’est dire la portée liberticide d’une telle décision.

En conclusion,

Dans son arrêt rendu le 28 avril 2021, la Cour de justice de la CEDEAO avait estimé que le système de parrainage adopté pour la présidentielle de 2019 « viole le droit de libre participation aux élections ». Le Sénégal disposait alors de six mois pour le supprimer. Le toilettage effectué par le pouvoir en revoyant le nombre de parrains requis pour la présidentielle, à l’occasion du « dialogue national » l’année dernière, n’a pas substantiellement répondu à l’injonction de la cour communautaire. L’illégalité du parrainage au regard du droit communautaire demeure de ce point de vue.

Au total, le parrainage s’est révélé un moyen efficace pour le pouvoir de filtrer les candidatures à l’élection présidentielle, consacrant ainsi une restriction évidente du droit du citoyen à participer à la direction des affaires pourtant consacré par les articles i) 13 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ii) 25 du pacte international sur les droits civils et politiques, et ii i) 21 de la déclaration universelle des droits de l’homme.

Les preuves évidentes que le fichier électoral qui a été utilisé par le Conseil constitutionnel pour le contrôle des parrainages est un fichier tronqué remet substantiellement en cause la validité de ses conclusions. Cette situation est confortée par les erreurs évidentes commises par le logiciel de contrôle mis en œuvre. Une telle situation présage d’un chaos électoral auquel il importe de remédier dès à présent.

C’est pourquoi, les candidats constituant le collectif déposeront dans les délais légaux des recours individuels devant le Conseil constitutionnel, aux fins d’être rétablis dans leurs droits, en espérant que cette action judiciaire produira les effets attendus.

De même des plaintes au pénal seront déposées devant le Procureur de la République pour attraire devant la justice l’informaticien du Conseil constitutionnel coupable des faits de falsification des fichiers électronique ainsi que la DGE qui a manifestement fait du faux et usage de faux par la production d’un fichier électoral tronqué qui a induit le Conseil constitutionnel en erreur.

Par la suite, d’autres actions politiques d’envergure seront menées par le collectif selon un plan d’action que le collectif élaborera pour faire respecter son droit inaliénable consacré par la constitution et les traités internationaux ci-dessus cités.

Le Sénégal reste et demeure une nation des grandes civilisations. De telles pratiques doivent être bannies du processus électoral afin de garantir aux citoyens Sénégalais des élections libres, indépendantes et crédibles, socle d’une démocratie pluraliste./.

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